"Retour vers le futur" vu par Jean-Pierre Godard


Nicolas

 

Voilà une petite critique tirée du livre Steven Spielberg de Jean-Pierre Godard. J'en parle parce que c'est rare qu'on ne dise pas que Robert Zemeckis a entièrement été couvé par Spielberg (je trouve pas cool et pas très objectif ). Et aussi parce que j'aurais aimé avoir votre avis sur ce curieux rapport qu'il fait entre BTTF, l'hindouisme et le bouddhisme.
 
 

 


1985 et 1986 sont deux années fleuves pour les productions Spielberg: quatre génériques en deux ans portent la mention "Steven Spielberg présente...". Une confusion s'installe dans le public qui parle du "dernier Spielberg" sans savoir s'il l'a ou non réalisé.

Ce rythme effréné déroute d'autant plus que le niveau des films est très inégal. Une oeuvre dépasse largement les autres, celle qui voit le retour de Zemeckis - son RETOUR VERS LE FUTUR, justement. Lui et son complice Gale concoctent pour ce film un fort ingénieux scénario. Le point de départ est pourtant simple: l'idée rebattue du voyage dans le temps, modernisée et enrobée de relativité einsteinienne. On se garde bien d'envoyer le héros chez les Romains: trente ans de recul, voilà qui suffit largement à faire un divertissant pied de nez à la psychanalyse: on a le même âge que papa et maman et Reagan joue dans des séries B au cinauche du coin.

Une fois de plus, l'humour est roi, mais il véhicule un propos plus subtil qu'il n'y paraît. Le titre résume la situation: le problème crucial du scénario n'est pas de revenir au passé mais, une fois qu'on y est, de retourner vers le futur. En termes de relativité physique, à condition d'atteindre la vitesse de la lumière, c'est possible, puisque l'espace-temps est courbe! La brillante chute du film n'est donc pas une pirouette illogique, mais est imposée par le paradoxe temporel: c'est l'illustration d'un postulat scientifique. Le jeune héros n'a pas modifié le futur en reculant de trente années, mais s'est contenté de détourner une trajectoire dans l' "espace-vie" des siens. Ce plaisant manège est l'occasion d'une satire acide de notre histoire récente.

L'ombre de Capra plane, encore une fois, sur l'ambiance de ce film, avec ses références visuelles et thématique plus ou moins conscientes à LA VIE EST BELLE. Sous son masque ludique, RETOUR VERS LE FUTUR chatouille un conflit oedipien auquel le jeune protagoniste américain ne semble guère préparé: il faut dire qu'avec le décalage temporel, la mégère du début s'est transformée en charmante adolescente...

Une source plus piquante, inattendue dans ces péripéties de TEENAGERS, est l'intégration thématique du film dans le grand cycle des réincarnations, fidèles aux descriptions des religions asiatiques. Les maître hindouïstes ou bouddhistes, grâce à la mémoire de leurs incarnations précédentes, ont en effet la possibilité, non seulement de reconnaître des objets leur ayant appartenu dans une vie antérieur, mais de savoir quelle sera leur mère pour leur prochaine incarnation: il peut arriver, disent les textes, que se produise la rencontre de la mère et de son futur enfant, qui n'est pas encore né (ou pas encore mort, cela revient au même).

En toutes connaissance de cause, la fin du film nous annonce d'ailleurs que le jeune couple doit aller dans le futur régler certains problèmes avec ses enfants, qui n'en sont encore qu'au stade d'ovule et de spermatozoïde. Hormis ces digressions qui titillent le Karma, le film de Zemeckis rajeunit le genre, tout en respectant des archétypes fondamentaux comme le savent fou ou la délirante Delorean, moyen de transport dans le temps à faire pâlir H.G. Wells. La réalisation du film est vivace et dynamique, en harmonie avec les astuces d'un scénario très construit. L'ouverture, avec son mouvement de caméra qui résume en un plan toutes les données du film, est un joli clin d'oeil au premier plan de FENETRE SUR COUR.

 

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Article relevé par Benjamin Clément